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CORRESPONDANCE

398. À LOUISE COLET.
[Croisset] Nuit de samedi, 1 heure [11-12 juin 1853].

Qu’arrive-t-il donc, bonne Muse ? Pas une seule lettre de toi, cette semaine ! Se sont-elles égarées ? Es-tu malade ? Je ne sais que penser. Ces douleurs au cœur, dont tu te plains de temps à autre, m’inquiètent. J’ai reçu ce matin un volume de la Revue Britannique et un numéro de journal, des affiches de Londres, avec l’adresse mise par toi. Je m’attendais à une lettre ; rien. Je serai bien dupe demain si la journée se passe ainsi, et il me tarde que la nuit soit passée et d’être à dix heures.

Nous avons jeudi dit adieu au père Parain. Son gendre est venu le chercher. Le jour du départ, il était plus mal que les autres et tout à fait perdu. La nuit, il s’était relevé à deux heures, avait ouvert les portes, s’était promené sur le quai, etc. Pauvre bonhomme ! c’est peut-être la dernière fois que je l’ai vu. Il m’aimait d’une façon canine et exclusive. Si j’ai jamais quelque succès, je le regretterai bien. Un article de journal l’aurait suffoqué et les applaudissements même d’un salon fait crever de joie.

La semaine a été assez funèbre : ce départ, l’enterrement de Mme Pouchet, et pas de lettre de toi.

Malgré cela j’ai travaillé passablement. Je viens de sortir d’une comparaison soutenue qui a d’étendue près de deux pages. C’est un morceau, comme on dit, ou du moins je le crois. Mais peut-être est-ce trop pompeux pour la couleur générale du livre, et me faudra-t-il plus tard le retrancher.