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DE GUSTAVE FLAUBERT.

ferons ! Quelles bosses d’Art ? Ne me dis plus que je mets à notre séparation un entêtement sauvage, un parti pris acharné. Crois-tu que je m’amuserais à nous faire souffrir, si je n’en sentais pas le besoin, la nécessité ? Il faut que mon livre se fasse, et bien, ou que j’en crève. Après, je prendrai un genre de vie autre. Mais ce n’est pas au milieu d’une œuvre si longue qu’on peut se déranger. Je n’écrirai jamais bien à Paris, je le sais. Mais j’y peux préparer mon travail, et c’est ce que je ferai les mois d’hiver que j’y passerai. Il me faut, pour écrire, l’impossibilité (même quand je le voudrais) d’être dérangé.

Cet Énault qui va en Orient ! C’est à dégoûter de l’Orient. Quand je pense qu’un pareil monsieur va pisser sur le sable du désert ! Et à coup sûr (lui aussi) publier un voyage d’Orient ! Eh bien, moi aussi, j’en ferai, de l’Orient (dans dix-huit mois), mais sans turban, pipes ni odalisques, de l’Orient antique. Et il faudra que celui de tous ces barbouilleurs-là soit comme une gravure à côté d’une peinture. Voilà en effet le conte égyptien qui me trotte dans la tête. J’ai peur seulement qu’une fois dans les notes je ne m’arrête plus et que la chose ne s’enfle. J’en aurais encore pour des années ! Eh bien, après, qu’est-ce que ça fait, si ça m’amuse et que ce soit bon plus tard ? Au fond, c’est fort bête de publier.

Bouilhet m’a apporté hier le volume de La Caussade[1]. C’est une canaille (d’après sa préface),

  1. Poèmes et Paysages par Lacaussade. Né, comme Leconte de Lisle, à l’ile Bourbon ; la description de la nature, dans plusieurs de ses poèmes, fait penser à la manière de Leconte de Lisle.