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CORRESPONDANCE

la Revue des Deux Mondes. « Je n’ai pas le temps de me tenir au courant » (phrase de mon brave professeur d’histoire Chéruel). Deux heures aux langues, huit au style, et le soir, dans mon lit, une heure encore à lire un classique quelconque. Je trouve que c’est raisonnable. Ah ! que je voudrais avoir le temps de lire ! Que je voudrais faire un peu d’histoire, que je dévore si bien, et un peu de philosophie, qui m’amuse tant ! Mais la lecture est un gouffre ; on n’en sort pas. Je deviens ignorant comme un pot. Qu’importe ! Il faut racler la guitare et c’est dur, c’est long.

C’est une chose, toi, dont il faut que tu prennes l’habitude, que de lire tous les jours (comme un bréviaire) quelque chose de bon. Cela s’infiltre à la longue. Moi je me suis bourré à outrance de La Bruyère, de Voltaire (les contes) et de Montaigne. Ce qui a amené B[ouilhet] à son vers de Melaenis, c’est le latin, sois-en sûre. Personne n’est original au sens strict du mot. Le talent, comme la vie, se transmet par infusion et il faut vivre dans un milieu noble, prendre l’esprit de société des maîtres. Il n’y a pas de mal à étudier à fond un génie complètement différent de celui qu’on a, parce qu’on ne peut le copier. La Bruyère, qui est très sec, a mieux valu pour moi que Bossuet dont les emportements m’allaient mieux. Tu as le vers souvent philosophique ou vide, coloré à outrance et un peu empêtré. Lis, relis, dissèque, creuse La Fontaine qui n’a aucune de ces qualités ni de ces défauts. Je n’ai pardieu pas peur que tu fasses des fables.

Oh ! comme il me tarde que nous ayons ensemble de bons loisirs ! Quelles lectures nous