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DE GUSTAVE FLAUBERT.

que l’on envoyait dans les nuages sur des cerfs-volants, au serpent de mer, à Gaspar Hauser[1], au chou colossal, orgueil de la Chine, aux escargots sympathiques, à la sublime devise « liberté, égalité, fraternité », inscrite au fronton des hôpitaux, des prisons et des mairies, à la peur des Rouges, au grand parti de l’ordre ! Maintenant nous avons « le principe d’autorité qu’il faut rétablir ». J’oubliais les « travailleurs », le savon Ponce, les rasoirs Foubert, la girafe, etc. Mettons dans le même sac tous les littérateurs qui n’ont rien écrit (et qui ont des réputations solides, sérieuses) et que le public admire d’autant plus, c’est-à-dire la moitié au moins de l’école doctrinaire, à savoir les hommes qui ont réellement gouverné la France pendant vingt ans.

Si l’on veut prendre la mesure de ce que vaut l’estime publique et quelle belle chose c’est que d’ « être montré au doigt », comme dit le poète latin, il faut sortir à Paris, dans les rues, le jour du Mardi-Gras. Shakespeare, Goethe, Michel-Ange n’ont jamais eu quatre cent mille spectateurs à la fois comme ce bœuf. Ce qui le rapproche, du reste, du génie, c’est qu’on le met ensuite en morceaux.

Eh bien, oui, je deviens aristocrate, aristocrate enragé ! Sans que j’aie, Dieu merci, jamais souffert des hommes et [bien] que la vie, pour moi, n’ait pas manqué de coussins où je me calais dans des coins, en oubliant les autres, je déteste fort mes semblables et ne me sens pas leur semblable.

  1. Gaspar Hauser, dit l’enfant mystérieux de Nuremberg, dont l’origine reste inconnue, et qui mourut poignardé à Anspach, en 1832, sans que l’assassin fût jamais découvert.