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CORRESPONDANCE

détail et d’observation. Mais de l’air ! de l’air ! Les grandes tournures, les larges et pleines périodes se déroulant comme des fleuves, la multiplicité des métaphores, les grands éclats du style, tout ce que j’aime enfin, n’y sera pas. Seulement, j’en sortirai peut-être préparé à écrire ensuite quelque bonne chose. Je suis bien désireux d’être dans une quinzaine de jours, afin de lire à B[ouilhet] tout ce commencement de ma deuxième partie (ce qui fera 120 pages, l’œuvre de dix mois). J’ai peur qu’il n’y ait pas grande proportion, car pour le corps même du roman, pour l’action, pour la passion agissante, il ne me restera guère que 120 à 140 pages, tandis que les préliminaires en auront plus du double. J’ai suivi, j’en suis sûr, l’ordre vrai, l’ordre naturel. On porte vingt ans une passion sommeillante qui n’agit qu’un seul jour et meurt. Mais la proportion esthétique n’est pas la physiologique. Mouler la vie, est-ce l’idéaliser ? Tant pis, si le moule est de bronze ! C’est déjà quelque chose ; tâchons qu’il soit de bronze.

Je me suis gaudy profondément aux récits de Mme Biard[1] ; je la connais cette petite femme. J’ai joué avec elle à l’oie, chez Pradier, dans le temps des galanteries du grand homme. Elle me paraissait un peu grisette. Ce ne doit pas être un mets de haute cuisine ; elle m’a été peu sympathique. Voilà tout ce que je m’en rappelle.

Mais sais-tu qu’il se dessine comme un très bon homme, le père Hugo ? Cette longue tendresse pour sa vieille Juliette m’attendrit. J’aime les pas-

  1. Femme séparée du peintre Auguste Biard ; très liée avec Victor Hugo et Juliette Drouet.