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CORRESPONDANCE

tine. Tu ne faisais pas la Paysanne dans ce temps-là ! Soyons nous, et rien que nous. « Qu’est-ce que ton devoir ? L’exigence de chaque jour ». Cette pensée est de Goethe. Faisons notre devoir, qui est de tâcher d’écrire bien. Et quelle société de saints serait celle où seulement chacun ferait son devoir !

Je lis du Montaigne maintenant dans mon lit. Je ne connais pas de livre plus calme et qui vous dispose à plus de sérénité. Comme cela est sain et piété ! Si tu en as un chez toi, lis de suite le chapitre de Démocrite et Héraclite et médite le dernier paragraphe. Il faut devenir stoïque quand on vit dans les tristes époques où nous sommes.

Pourquoi, l’autre nuit, celle d’hier, ai-je rêvé que j’étais à Thèbes, en Égypte, avec Babinet, et que nous galopions tous les deux comme deux lapins pour fuir trois énormes lions que Babinet élevait par curiosité ? Au moment où il me disait : « Il n’y a que moi à Paris pour avoir de ces idées-là », les trois grosses bêtes se sont mises à nous poursuivre. Je vois encore les basques de l’habit du père Babinet volant au vent dans notre fuite, et la couleur du sable où nous filions comme sur des patins.

J’ai une tirade de Homais sur l’éducation des enfants (que j’écris maintenant) et qui, je crois, pourra faire rire. Mais moi qui la trouve très grotesque, je serai sans doute fort attrapé, car pour le bourgeois c’est profondément raisonnable.

Adieu, bonne Muse, à bientôt. Nous aurons là deux ou trois bons jours ; j’en ai besoin. Je ne sais combien de millions il faudrait me donner pour recommencer ce sacré roman ! C’est trop