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CORRESPONDANCE

une image. Comment ne t’aperçois-tu pas que c’est une phrase banale, toute faite : « la soif qu’on puise dans l’ivresse ! » la soif qu’on puise, métaphore usée et qui n’en est pas une ! On va puisant la soif dans l’ivresse ? Non, non, mille fois non ! Sacrée Muse, va, que tu es drôle ! Garde donc ton vers tout simple, sans prétention et d’une grande âpreté lubrique cachée : « il souhaitait d’y revenir sans cesse ». Je crois seulement que « il souhaitait y revenir sans cesse » serait plus élégant. Au reste, c’est bien peu important.

Non, tu ne me dois pas tous les remerciements que tu me fais. Si tu savais user de tes moyens, tu pourrais faire des choses merveilleuses. Tu es une nature vierge et tes arbres de haute futaie sont encombrés de broussailles. Dans cette Paysanne par exemple, il n’y a pas une intention qui soit de moi. Mais comment se fait-il que j’y aie développé beaucoup d’effets nouveaux ? C’est en enlevant tout ce qui empêchait qu’on ne les vît. Moi, je les y voyais ; ils y étaient. Ce qui fait la force d’une œuvre, c’est la vesée, comme on dit vulgairement, c’est-à-dire une longue énergie qui court d’un bout à l’autre et ne faiblit pas.

C’est là ce qu’a voulu dire Villemain en trouvant que ce n’étaient pas des vers de femme. Ah ! fie-toi à moi, va, et je te jure bien qu’il n’y aura pas un hémistiche faible dans tout ton drame, et que nous pouvons, pour le style, les ébahir, tous ces mâles-là dont la culotte est si légère.

Comment, en supposant seulement que l’on soit né avec une vocation médiocre (et si l’on admet avec cela du jugement), ne pas penser que l’on doit arriver enfin, à force d’étude, de temps, de