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DE GUSTAVE FLAUBERT.

parce que j’avais peur qu’il ne se méprît sur ma pensée, ne pouvant en quelques lignes lui faire comprendre nettement mon opinion et que le dialogue serait plus commode pour cela. Donc, je lui ai ainsi rendu sa politesse sans me compromettre, ni mentir. S’il veut mon avis, et qu’il me le demande, je le lui donnerai net et sincèrement, je t’en jure bien ma parole ; mais il se gardera de l’aventure.

As-tu le dernier numéro de la Revue ? Il y a une note de lui qui vaut cinquante francs, comme dirait Rabelais. La Revue de Paris est comparée au soleil. C’est de la démence ! Et au bas du Livre Posthume, sur la page du titre même : « l’auteur se réserve le droit de traduire cet ouvrage en toutes les langues. » Il y a un article d’Hippolyte Castille sur Guizot, ignoble. Ne sachant comment l’éreinter, il lui reproche d’aller à pied dans les rues de Londres. Il l’appelle marcassin. C’est aussi bête que canaille. Quel joli métier ! Et des vers de Monsieur Nadaud ! Ah ! quelle fange intellectuelle et morale !

J’ai lu Leconte. Eh bien, j’aime beaucoup ce gars-là : il a un grand souffle, c’est un pur. Sa préface aurait demandé cent pages de développement, et je la crois fausse d’intention. Il ne faut pas revenir à l’antiquité, mais prendre ses procédés. Que nous soyons tous des sauvages tatoués depuis Sophocle, cela se peut. Mais il y a autre chose dans l’Art que la rectitude des lignes et le poli des surfaces. La plastique du style n’est pas si large que l’idée entière, je le sais bien. Mais à qui la faute ? À la langue. Nous avons trop de choses et pas assez de formes. De là vient la torture des consciencieux. Il faut pourtant tout accepter et tout impri-