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CORRESPONDANCE

Voltaire, le magnétisme, Napoléon, la révolution, le catholicisme, etc., qu’on en dise du bien ou du mal, j’en suis mêmement irrité. La conclusion, la plupart du temps, me semble acte de bêtise. C’est là ce qu’ont de beau les sciences naturelles : elles ne veulent rien prouver. Aussi quelle largeur de faits et quelle immensité pour la pensée ! Il faut traiter les hommes comme des mastodontes et des crocodiles. Est-ce qu’on s’emporte à propos de la corne des uns et de la mâchoire des autres ? Montrez-les, empaillez-les, bocalisez-les, voilà tout ; mais les apprécier, non. Et qui êtes-vous donc vous-mêmes, petits crapauds ?

Il me semble que je t’ai donné mes Notes d’Italie. Je ne tenais pas de journal. J’ai seulement pris des notes sur les musées et quelques monuments ; tu dois avoir tout. Tu dis que D[u Camp] me croyait mort ; d’autres l’auraient pu croire. J’ai des recoquillements si profonds que j’y disparais, et tout ce qui essaie de m’en faire sortir me fait souffrir. Cela me prend surtout devant la nature, et alors je ne pense à rien ; je suis pétrifié, muet et fort bête. En allant à la Roche-Guyon j’étais ainsi, et ta voix qui m’interpellait à chaque minute et surtout tes attouchements sur l’épaule pour solliciter mon attention me causaient une douleur réelle. Comme je me suis retenu pour ne pas t’envoyer promener de la façon la plus brutale ! J’ai souvent été dans cet état en voyage.

Adieu, bonne et chère amie. Je ne voulais t’écrire qu’un mot et je me suis laissé aller à une longue lettre. Dans la prochaine je te parlerai du logement, etc. Encore adieu ; mille baisers et tendresses.

Ton G.