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DE GUSTAVE FLAUBERT.

les gens de lettres par la vérité même. Mais à quoi bon ? Il vaut mieux reporter tout cela dans une œuvre longue ; et puis, s’établir arbitre du beau et du laid me semble un rôle odieux. À quoi ça mène-t-il, si ce n’est à poser ?

Je lis en ce moment pour ma Bovary un livre qui a eu au commencement de ce siècle assez de réputation, « Des erreurs et des préjugés répandus dans la société », par Salgues. Ancien rédacteur du Mercure, ce Salgues avait été à Sens le proviseur du collège de mon père. Celui-ci l’aimait beaucoup et fréquentait à Paris son salon où l’on recevait les grands hommes et les grandes garces d’alors. Je lui avais toujours entendu vanter ce bouquin. Ayant besoin de quelques préjugés pour le quart d’heure, je me suis mis à le feuilleter. Mon Dieu, que c’est faible et léger ! léger surtout ! Nous sommes devenus très graves, nous autres, et comme ça nous semble bête, l’esprit !!! Ce livre en est plein (d’esprit) ! Mais en des sujets semblables nous avons maintenant des instincts historiques qui ne s’accommodent pas des plaisanteries, et un fait curieux nous intéresse plus qu’un raisonnement ou une jovialité. Cela nous semble fort enfantin que de déclamer contre les sorciers ou la baguette divinatoire. L’absurde ne nous choque pas du tout ; nous voulons seulement qu’on l’expose, et quant à le combattre, pourquoi ne pas combattre son contraire, qui est aussi bête que lui ou tout autant ?

Il y a ainsi une foule de sujets qui m’embêtent également par n’importe quel bout on les prend. (C’est qu’il ne faut pas sans doute prendre une idée par un bout, mais par son milieu). Ainsi