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DE GUSTAVE FLAUBERT.

qui a changé sur la terre, ce sont les dogmes, les histoires des Vischnou, Ormuzd, Jupiter, Jésus-Christ. Mais ce qui n’a pas changé, ce sont les amulettes, les fontaines sacrées, les ex-voto, etc., les brahmanes, les santons, les ermites, la croyance enfin à quelque chose de supérieur à la vie et le besoin de se mettre sous la protection de cette force. Dans l’Art aussi, c’est le fanatisme de l’Art qui est le sentiment artistique. La poésie n’est qu’une manière de percevoir les objets extérieurs, un organe spécial qui tamise la matière et qui, sans la changer, la transfigure. Eh bien, si vous voyez exclusivement le monde avec cette lunette-là, le monde sera teint de sa teinte et les mots pour exprimer votre sentiment se trouveront donc dans un rapport fatal avec les faits qui l’auront causé. Il faut, pour bien faire une chose, que cette chose-là rentre dans votre constitution. Un botaniste ne doit avoir ni les mains, ni les yeux, ni la tête faits comme un astronome, et ne voir les astres que par rapport aux herbes. De cette combinaison de l’innéité et de l’éducation résulte le tact, le trait, le goût, le jet, enfin l’illumination. Que de fois ai-je entendu dire à mon père qu’il devinait des maladies sans savoir à quoi ni en vertu de quelles raisons ! Ainsi le même sentiment qui lui faisait d’instinct conclure le remède, doit nous faire tomber sur le mot. On n’arrive à ce degré-là que quand on est né pour le métier d’abord, et ensuite qu’on l’a exercé avec acharnement pendant longtemps.

Nous nous étonnons des bonshommes du siècle de Louis XIV, mais ils n’étaient pas des hommes d’énorme génie. On n’a aucun de ces ébahis-