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DE GUSTAVE FLAUBERT.

secondaires ! les amis ! les ennemis ! Ne faut-il pas faire mousser les uns, échigner les autres ? J’admets même que pendant quelque temps l’on reste dans le programme ; alors le public s’embête, l’abonnement n’arrive pas. Puis on vous donne des conseils en dehors de votre voie ; on les suit par essai et l’on continue par habitude. Enfin, il n’y a rien de pernicieux comme de pouvoir tout dire et d’avoir un déversoir commode. On devient fort indulgent pour soi-même, et les amis, afin que vous le soyez pour eux, le sont pour vous. Et voilà comme on s’enfonce dans le trou, avec la plus grande naïveté du monde. Une Revue modèle serait une belle œuvre et qui ne demanderait pas moins que tout le temps d’un homme de génie. Directeur d’une revue devrait être la place d’un patriarche ; il faudrait qu’il y fût dictateur, avec une grande autorité morale, acquise par des œuvres. Mais la communauté n’est pas possible, parce qu’on tombe de suite dans le gâchis. On bavarde beaucoup, on dépense tout son talent à faire des ricochets sur la rivière avec de la menue monnaie, tandis qu’avec plus d’économie on aurait pu par la suite acheter de belles fermes et de bons châteaux.

Ce que tu me dis, Du Camp le disait ; vois ce qu’ils ont fait. Ne nous croyons pas plus forts qu’eux, car ils ont failli, comme nous faillirions, par l’entraînement et en vertu de la pente même de la chose. Un journal enfin est une boutique. Du moment que c’est une boutique, le livre l’emporte sur les livres, et la question d’achalandage finit tôt ou tard par dominer toutes les autres. Je sais bien qu’on ne peut publier nulle part, à l’heure qu’il est,