Page:Flaubert Édition Conard Correspondance 3.djvu/139

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
133
DE GUSTAVE FLAUBERT.

mais elles sont de la connaissance de Nieukerke. Dans la conversation un mot peut échapper. Ces braves gens, au contraire, ne voient personne et sont complètement confinés dans leur commerce. Autant qu’on peut être sûr d’autrui, je le suis d’eux. Quant à la transmission de volumes, ça me paraît plus difficile. Tout paquet envoyé par la poste est décacheté à la douane. Il faut donc attendre une occasion, une personne sûre, pour le passer en fraude. L’envoyer ainsi, franchement, par la voie ordinaire et avec l’adresse dessus c’est se désigner naïvement à la surveillance de la police. Voilà, chère sauvage, mes réflexions politiques. Explique-lui bien la marche à suivre pour les lettres ; il n’y a rien de plus simple. Quand est-ce que l’on saura la décision de l’Acropole ? Tu me parais du reste être en bon train pour les recommandations par M. Béchard, etc. Je suis bien impatient du résultat.

L’impression que te font mes Notes de voyage m’a fait faire d’étranges réflexions, chère Muse, sur le cœur des hommes et sur celui des femmes. Décidément ce n’est pas le même, on a beau dire.

De notre côté est la franchise, sinon la délicatesse ; et nous avons tort pourtant, car cette franchise est une dureté. Si j’avais omis d’écrire mes impressions féminines, rien ne t’eût blessée ! Les femmes gardent tout dans leur sac, elles. On n’en tire jamais une confidence entière. Le plus qu’elles font, c’est de laisser deviner et, quand elles vous racontent les choses, c’est avec une telle sauce que la viande en disparaît. Mais nous, pour deux ou trois méchants […] et où le cœur même n’était pas, voilà le leur qui gémit ! Étrange !