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DE GUSTAVE FLAUBERT.

je suis sûr, jusqu’à demain midi sans fatigue. Mais je connais ces bals masqués de l’imagination d’où l’on revient avec la mort au cœur, épuisé, n’ayant vu que du faux et débité des sottises. Tout doit se faire à froid, posément. Quand Louvel a voulu tuer le duc de Berry, il a pris une carafe d’orgeat et n’a pas manqué son coup. C’était une comparaison de ce pauvre Pradier et qui m’a toujours frappé. Elle est d’un haut enseignement pour qui sait la comprendre. Ayant du reste peu de temps à toi, il eût été impossible de faire autrement et ce n’est pas encore donné à tout le monde de posséder en soi-même une boîte à cantharides d’où l’on tire le moyen de se faire […] à volonté.

J’ai revu, jeudi, mon jeune homme et qui m’a plus intéressé que la première fois. Il m’a conté beaucoup de choses de son cœur intéressantes. Il cherche (mais naïvement et sans pose ; conséquemment c’est respectable) un idéal, une femme à aimer toute sa vie, avec qui passer une existence intelligente, entourée d’enfants et dénuée de soucis, etc… J’ai été grand ! je me suis montré pontifical et olympien ! Je l’ai prêché avec une envergure chevelue. « Jeune homme, lui ai-je dit, etc. »

Ma préface du Dictionnaire des idées reçues me tourmente. J’en ai fait le plan par écrit. J’ai passé l’autre jour deux heures de suite à rêver (à propos de Juvénal que je lisais) un grand roman romain. Mon livre XVIIIe siècle m’est revenu hier. La Bovary marche son petit train et se dessine dans l’avenir. Il n’est pas jusqu’à ce malheureux grec qui ne me semble se débrouiller. Je crois que le ramollissement de cervelle diagnostiqué par Du Camp