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CORRESPONDANCE

plaisir. Il veut aussi écrire une histoire grecque, voir la Grèce. Voilà bien des volontés, qui marquent peut-être absence de volonté. Dans quelle époque de diffusion nous sommes ! L’esprit autrefois était un soleil solitaire ; tout autour de lui il y avait le ciel vide. Son disque maintenant, comme par un soir d’hiver, semble avoir pâli et il illumine toute la brume humaine de sa clarté confuse.

Je m’en vais relire Montaigne en entier. C’est une bonne causerie, le soir avant de s’endormir. Comment vas-tu ? Il me semble qu’il y a six mois que je t’ai quittée. Comme nous serons à nous à Mantes ! Mais ne pensons pas à cela. Travaillons. Moi je ne veux plus regarder en avant. La longueur de ma B[ovary] m’épouvante à me décourager. « Qu’est-ce que ton devoir ? dit Goethe ; l’exigence de chaque jour ». Ne sortons pas de là.

Adieu, mille baisers sur tes lèvres de muse.

À toi, ton G. F.


368. À LOUISE COLET.
[Croisset] Nuit de dimanche, 1 heure et demie.
[27-28 février 1853]

Il est bien tard, et je devrais me coucher. Mais c’est demain dimanche, je me reposerai. Je veux te dire tout de suite, chère Muse, combien je t’aime, d’abord, et comme tes deux dernières courtes lettres m’ont fait plaisir. Elles ont un souffle qui m’a gonflé, je crois, car je suis dans le même état lyrique que toi. J’y ai vu que tu étais emportée dans l’art et que tu roulais dans la houle intellectuelle, ballottée à tous les grands vents apolloniques.