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DE GUSTAVE FLAUBERT.

refaire. Je crois pourtant qu’on peut lui donner la consistance du vers. Une bonne phrase de prose doit être comme un bon vers, inchangeable, aussi rythmée, aussi sonore. Voilà du moins mon ambition (il y a une chose dont je suis sûr, c’est que personne n’a jamais eu en tête un type de prose plus parfait que moi ; mais quant à l’exécution, que de faiblesses, que de faiblesses mon Dieu !). Il ne me paraît pas non plus impossible de donner à l’analyse psychologique la rapidité, la netteté, l’emportement d’une narration purement dramatique. Cela n’a jamais été tenté et serait beau. Y ai-je réussi un peu ? Je n’en sais rien. À l’heure qu’il est je n’ai aucune opinion nette sur mon travail.

Causons un peu de la pièce d’Hugo[1]. Je n’aime pas les six premiers vers.

Aux anges de ta vie


pas d’ange ! pas d’ange ! Ce sont tous ces mots-là qui donnent des chloroses au style. Une femme vaut mieux qu’un ange, d’abord ; les ailes ne valent pas les omoplates et sont plus faciles à faire. La description du salon est bien troussée et il y a là deux excellents vers :

Mais l’ombre disputait…
La moitié du plafond…

Des fronts charmants, des têtes inspirées

répétition de la même idée ; lourd et surtout bien vague d’expression à côté du détail si précis bor-

  1. Poème de Louise Colet.