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DE GUSTAVE FLAUBERT.

J’en peux dire quelque chose, moi qui ai entendu, à travers des portes fermées, parler à voix basse des gens à trente pas de moi ; moi dont on voyait, à travers la peau du ventre, bondir tous les viscères et qui parfois ai senti, dans la période d’une seconde, un million de pensées, d’images, de combinaisons de toute sorte qui jetaient à la fois dans ma cervelle comme toutes les fusées allumées d’un feu d’artifice. Mais ce sont d’excellents sujets de conversation et qui émeuvent.

La poésie n’est point une débilité de l’esprit, et ces susceptibilités nerveuses en sont une. Cette faculté de sentir outre mesure est une faiblesse. Je m’explique.

Si j’avais eu le cerveau plus solide, je n’aurais point été malade de faire mon droit et de m’ennuyer. J’en aurais tiré parti, au lieu d’en tirer du mal. Le chagrin, au lieu de me rester sur le crâne, a coulé dans mes membres et les crispait en convulsions. C’était une déviation. Il se trouve souvent des enfants auxquels la musique fait mal ; ils ont de grandes dispositions, retiennent des airs à la première audition, s’exaltent en jouant du piano, le cœur leur bat, ils maigrissent, pâlissent, tombent malades, et leurs pauvres nerfs, comme ceux des chiens, se tordent de souffrance au son des notes. Ce ne sont point là les Mozarts de l’avenir. La vocation a été déplacée ; l’idée a passé dans la chair où elle reste stérile, et la chair périt ; il n’en résulte ni génie, ni santé.

Même chose dans l’art. La passion ne fait pas les vers, et plus vous serez personnel, plus vous serez faible. J’ai toujours péché par là, moi ; c’est que je me suis toujours mis dans tout ce que j’ai fait.