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CORRESPONDANCE

soi, les autres, le soleil, les tombeaux, etc., on fait du sentiment sur tout, et les pauvres femmes les trois quarts du temps y sont prises. C’est pour donner une bonne idée de lui qu’il te disait : essayez, j’ai échigné des Italiennes (laquelle idée d’Italiennes s’associe à celle de volcan ; on voit toujours le Vésuve sous leur jupon. Erreur ! l’Italienne se rapproche de l’Orientale et est molle à la fesse, « Folle à la messe », comme eût dit ce vieux Rabelais ; mais n’importe, c’est une idée reçue), tandis que le pauvre garçon ne peut seulement peut-être pas satisfaire sa blanchisseuse. C’est pour paraître un homme à passions ardentes qu’il disait : « Moi, je suis jaloux, je tuerais une femme, etc. ». On ne tue pas les femmes, on a peur de la cour d’assises. Il n’a pas tué George Sand. C’est pour paraître un luron qu’il disait : « Hier j’ai failli assommer un journaliste ». Oui, failli, car on l’a retenu. C’est peut-être l’autre qui l’eût assommé. C’est pour paraître un savant qu’il disait : « Je lis Homère comme Racine ». Il n’y a pas, à Paris, vingt personnes qui en soient capables, et de ceux qui en font leur métier. Mais quand on s’adresse à des gens qui n’ont jamais étudié le susdit grec, on vous croit. Cela me rappelle ce bon Gautier me disant : « Moi, je sais le latin comme on le savait au moyen âge », et le lendemain je trouve sur sa table une traduction de Spinosa. « Pourquoi ne le lisez-vous pas dans l’original ? — Ah ! c’est trop difficile. » Comme on ment ! Comme on ment en ce bas monde ! Bref, les bras tendus aux arbres et les regrets dithyrambiques de sa jeunesse perdue me semblent partir du même sol. Elle sera émue, elle voudra (se dira-t-elle) me sauver, me relever, elle