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DE GUSTAVE FLAUBERT.

Du Camp m’a répondu une lettre bonhomme et affligée. Je lui en ai renvoyé une autre du même tonneau (de vinaigre). Je crois qu’il sentira longtemps l’étourdissement d’un tel coup de poing et qu’il se le tiendra pour dit. Je suis très bon enfant jusqu’à un certain degré, jusqu’à une frontière (celle de ma liberté) qu’on ne passe pas. Or comme il a voulu empiéter sur mon territoire le plus personnel, je l’ai recalé dans son coin et à distance. Comme il me disait que l’on se devait aux autres, qu’il fallait s’aider, etc., que j’avais une mission et autres phrases, après lui avoir exprimé net que me foutais radicalement de tout et de tous, j’ajoutais : « Les autres se passeront donc de mes lumières. Je leur demande en revanche qu’ils ne m’empoisonnent pas de leurs chandelles » et de même encre pendant quatre pages. Je suis un Barbare, j’en ai l’apathie musculaire, les langueurs nerveuses, les yeux verts et la haute taille ; mais j’en ai aussi l’élan, l’entêtement, l’irascibilité. Normands, tous que nous sommes, nous avons quelque peu de cidre dans les veines ; c’est une boisson aigre et fermentée et qui quelquefois fait sauter la bonde.

Nous reverrons demain, nous deux Bouilhet, l’article de Melaenis, puisque tu penses que ça vaut mieux. Mais il faudrait qu’il fût signé de quelqu’un du journal ou, tout au moins, que l’on ne sût pas que ça vient de toi, pour dérouter et voir un peu les revirements. Je voudrais savoir aussi la pièce de Pradier parue. Quelle immense chose que les États du Soleil de Bergerac ! J’adore Babinet ; voilà un homme qui admire l’Âne d’or.

J’ai beaucoup songé à Musset. Eh bien le fonds de tout cela c’est la Pose ! Pour la Pose tout sert,