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CORRESPONDANCE

parlant de Paris. Je trouve qu’il sent souvent l’odeur des dents gâtées, ton souffle de vie. Il s’exhale, pour moi, de ce Parnasse où tu me convies, plus de miasmes que de vertiges. Les lauriers qu’on s’y arrache sont un peu couverts de merde, convenons-en.

Et à ce propos, je suis fâché de voir un homme comme toi renchérir sur la marquise[1] d’Escarbagnas, qui croyait que « hors Paris, il n’y avait pas de salut pour les honnêtes gens ». Ce jugement me paraît être lui-même provincial, c’est-à-dire borné. L’humanité est partout, mon cher monsieur, mais la blague plus à Paris qu’ailleurs, j’en conviens.

Certes, il y a une chose que l’on gagne à Paris, c’est le toupet ; mais l’on y perd un peu de sa crinière.

Celui qui, élevé à Paris, est devenu néanmoins un véritable homme fort, celui-là était né demi-dieu. Il a grandi les côtes serrées et avec des fardeaux sur la tête, tandis qu’au contraire il faut être dénué d’originalité native si la solitude, la concentration, un long travail ne vous créent à la fin quelque chose d’approchant.

Quant à déplorer si amèrement ma vie neutralisante, c’est reprocher à un cordonnier de faire des bottes, à un forgeron de battre son fer, à un artiste de vivre dans son atelier. Comme je travaille de 1 heure de l’après-midi à 1 heure de l’après-minuit tous les jours, sauf de 6 à 8 heures, je ne vois guère à quoi employer le temps qui me reste. Si

  1. La comtesse d’Escarbagnas, personnage de Molière dans la pièce de ce nom.