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DE GUSTAVE FLAUBERT.

que ce tapage que l’on partage avec tant de monde. Sait-on, quelque connu que l’on soit, sa juste valeur ? Les incertitudes de soi que l’on a dans l’obscurité, on les porte dans la célébrité. Que de gens, parmi les plus forts, en sont morts rongés, à commencer par Virgile qui voulait brûler son œuvre ! Sais-tu ce que j’attends ? C’est le moment, l’heure, la minute ou j’écrirai la dernière ligne de quelque longue œuvre mienne, comme Bovary ou autres, et que, ramassant de suite toutes les Feuilles, j’irai te les porter, te les lire de cette voix spéciale avec quoi je me berce, et que tu m’écouteras, que je te verrai t’attendrir, palpiter, ouvrir les yeux. Je tiendrai là ma jouissance de toutes les manières. Tu sais que je dois prendre au commencement de l’autre hiver un logement à Paris. Nous l’inaugurerons, si tu veux, par la lecture de Bovary. Ce sera une fête.

L’Arménien t’a fait de l’effet. Que serait-ce si tu avais vu des gens de la Mecque en costume, ou des jeunes gens grecs de la campagne ! Les Arméniens ne sont généralement pas beaux : ils ont un nez d’oiseau de proie et des dents bombées, race de gens d’affaires, drogmans, scribes et politiques de tout l’Orient. Je crois que celui-ci, en question, désire conquérir des femmes illustres. Il se doit cela en sa qualité d’homme civilisé. S’il te proposait quelque affaire d’argent, rappelle-toi l’avertissement. Je crois à la race plus qu’à l’éducation. On emporte, quoi qu’en ait dit Danton, la patrie à la semelle de ses talons et l’on porte au cœur, sans le savoir, la poussière de ses ancêtres morts. Quant à moi, je ferais là-dessus, personnellement, une démonstration par A+B. Il en est