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CORRESPONDANCE

pour vous un pantin à grelots que l’on fait sonner au bout de sa phrase comme un bateleur au bout de son pied (je me suis souvent, ainsi, bien vengé de l’existence ; je me suis repassé un tas de douceurs avec ma plume ; je me suis donné des femmes, de l’argent, des voyages), comme l’âme courbée se déploie dans cet azur qui ne s’arrête qu’aux frontières du Vrai. Où la Forme, en effet, manque, l’idée n’est plus. Chercher l’un, c’est chercher l’autre. Ils sont aussi inséparables que la substance l’est de la couleur et c’est pour cela que l’Art est la vérité même. Tout cela, délayé en vingt leçons au Collège de France, me ferait passer, près de beaucoup de petits jeunes gens, de messieurs forts et de femmes distinguées, pour grand homme pendant quinze jours.

Une chose qui prouve, selon moi, que l’Art est complètement oublié, c’est la quantité d’artistes qui pullulent. Plus il y a de chantres à une église, plus il est à présumer que les paroissiens ne sont pas dévots. Ce n’est pas de prier le bon Dieu que l’on s’inquiète, ou de cultiver son jardin, comme dit Candide, mais d’avoir de belles chasubles. Au lieu de traîner le public à sa remorque, on se traîne à la sienne. Il y a plus de bourgeoisme pur dans les gens de lettres que dans les épiciers. Que font-ils en effet, si ce n’est de s’efforcer, par toutes les combinaisons possibles, de flouer la pratique, et en se croyant honnêtes encore ! (c’est-à-dire artistes), ce qui est le comble du bourgeois. Pour lui plaire, à la pratique, Béranger a chanté ses amours faciles, Lamartine les migraines sentimentales de son épouse, et Hugo même, dans ses grandes pièces, a lâché à son adresse des tirades sur l’humanité, le