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DE GUSTAVE FLAUBERT.

d’esprit, de forme, de fond, d’âme ou de corps : tout est lié dans l’homme. Il fut un temps où tu me regardais comme un égoïste jaloux qui se plaisait dans la rumination perpétuelle de sa propre personnalité. C’est là ce que croient ceux qui voient la surface. Il en est de même de cet orgueil qui révolte tant les autres et que payent pourtant de si grandes misères. Personne plus que moi n’a, au contraire, aspiré les autres. J’ai été humer des fumiers inconnus, j’ai eu compassion de bien des choses où ne s’attendrissaient pas les gens sensibles. Si la Bovary vaut quelque chose, ce livre ne manquera pas de cœur. L’ironie pourtant me semble dominer la vie. D’où vient que, quand je pleurais, j’ai été souvent me regarder dans la glace pour me voir ? Cette disposition à planer sur soi-même est peut-être la source de toute vertu. Elle vous enlève à la personnalité, loin de vous y retenir. Le comique arrivé à l’extrême, le comique qui ne fait pas rire, le lyrisme dans la blague, est pour moi tout ce qui me fait le plus envie comme écrivain. Les deux éléments humains sont là. Le Malade imaginaire descend plus loin dans les mondes intérieurs que tous les Agamemnons. Le « N’y aurait-il pas du danger à parler de toutes ces maladies ? » vaut le « Qu’il mourût ! »

Mais que l’on fasse jamais comprendre cela aux pédants ! C’est une chose drôle, du reste, comme je sens bien le comique en tant qu’homme et comme ma plume s’y refuse ! J’y converge de plus en plus à mesure que je deviens moins gai, car c’est là la dernière des tristesses. J’ai des idées de théâtre depuis quelque temps et l’esquisse incertaine d’un grand roman métaphysique, fantastique et gueu-