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DE GUSTAVE FLAUBERT.

ne suis-je pas retombé par terre, les ongles saignants, les côtes rompues, la tête bourdonnante, après avoir voulu monter à pic sur cette muraille de marbre ! Comme j’ai déployé mes petites ailes ! Mais l’air passait à travers au lieu de me soutenir : et, dégringolant alors, je me voyais dans les fanges du découragement. Une fantaisie indomptable me pousse à recommencer. J’irai jusqu’au bout, jusqu’à la dernière goutte de mon cerveau pressé. Qui sait ? Le hasard a des bonnes fortunes. Avec un sens droit du métier que l’on fait et une volonté persévérante, on arrive à l’estimable. Il me semble qu’il y a des choses que je sens seul et que d’autres n’ont pas dites et que je peux dire. Ce côté douloureux de l’homme moderne, que tu remarques, est le fruit de ma jeunesse. J’en ai passé une bonne avec ce pauvre Alfred. Nous vivions dans une serre idéale où la poésie nous chauffait l’embêtement de l’existence à 70 degrés Réaumur. C’était à un homme, celui-là ! Jamais je n’ai fait, à travers les espaces, de voyages pareils. Nous allions loin sans quitter le coin de notre feu. Nous montions haut quoique le plafond de ma chambre fût bas. Il y a des après-midi qui me sont restés dans la tête, des conversations de six heures consécutives, des promenades sur nos côtes et des ennuis à deux, des ennuis, des ennuis ! Tous souvenirs qui me semblent de couleur vermeille et flamber derrière moi comme des incendies.

Tu me dis que tu commences à comprendre ma vie. Il faudrait savoir ses origines. À quelque jour, je m’écrirai tout à mon aise. Mais dans ce temps-là je n’aurai plus la force nécessaire. Je n’ai par devers moi aucun autre horizon que celui