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CORRESPONDANCE

Ils vont gagner de l’argent. Il n’y a que moi qui reste toujours avec une non-position et léger escholier comme à 18 ans. Je vois cependant tous mes camarades ou mariés, ou établis, ou sur le point de l’être. À propos, j’ai un mien ami qui veut me faire faire un mariage de deux cent mille livres de rentes avec une mulâtresse qui parle six langues, est née à la Havane et a une humeur charmante. Me vois-tu en train de confectionner un tas de moricauds ? Oïmé ! Je n’en ai guère envie, de la femme ni des enfants. Quant à l’argent, moins qu’autrefois. J’ai bien vieilli sous le rapport d’un tas de cupidités dont la satisfaction, jadis, me semblait indispensable. Et puis à force de se répéter que les raisins sont verts, ne finit-on pas par le croire ? Aussi je vais donc au jour le jour, travaillant pour travailler, sans plan de vie, sans projets (j’en ai trop fait, de projets), sans envie quelconque, si ce n’est de mieux écrire.

Quant à la question matérielle, mon voyage m’a écorniflé un peu. D’un autre côté, la fortune de ma mère ne s’améliore pas par le temps qui court. Enfin !

Et toi, donne-moi de tes nouvelles et surtout de celles de ta femme. Reprenons l’habitude de nous donner de temps à autre signe de vie. Si tu m’avais écrit cet été que tu étais aux Andelys, j’y aurais été certainement.

Adieu, mon bon vieux, reçois la plus cordiale embrassade de ton plus vieil ami.