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DE GUSTAVE FLAUBERT.

au départ de Maxime, je te répète qu’il est complètement subordonné à ton arrivée.

Tu parles de souvenirs et de choses passées ; sais-tu aujourd’hui à quoi j’ai pensé ? Au long après-midi d’été que nous avons passé tous les trois dans l’auberge de la mère Leblond, à Pont-Audemer. Comme il faisait chaud ! comme il y avait des mouches ! J’entends encore les grelots des chevaux de roulier qui étaient dans l’arrière-cour pleine de poussière. Je suis comme toi, je n’oublie rien ; je rêve souvent de Déville. Le souvenir de ma pauvre sœur ne me quitte pas. J’ai toujours à son endroit une place vide au cœur et que rien ne comble ; charmante et bonne créature |

On a beau voyager, voir des paysages et des tronçons de colonnes, cela n’égaye pas. On vit dans une torpeur parfumée, dans une sorte d’état somnolent, où il vous passe sous les yeux des changements de décors, et à l’oreille des mélodies subites : bruits du vent, roulement des torrents, clochettes des troupeaux. Mais on n’est pas gai ; on rêvasse trop pour cela. Rien ne dispose plus au silence et à la paresse. Nous passons quelquefois des jours entiers, Maxime et moi, sans éprouver le besoin d’ouvrir la bouche. Après quoi nous faisons le scheik. À cheval, votre esprit trottine d’un pas égal par tous les sentiers de la pensée ; il va remontant dans les souvenirs, s’arrêtant aux carrefours et aux embranchements, foulant les feuilles mortes, passant le nez par-dessus les clôtures. Tout cela mûrit et vieillit, sans parler du physique. Car attends-toi à me retrouver aux trois quarts chauve, avec une mine culottée, beaucoup de barbe et de ventre. Décidément