Page:Flaubert Édition Conard Correspondance 2.djvu/287

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
281
DE GUSTAVE FLAUBERT.

lettres, cher vieux compagnon ; parle-moi de la muse d’abord, puis de toi ensuite. Je ne suis plus du tout au courant de tes amours. Aurais-tu le cœur occupé ? Conte-moi donc tout cela.

Que j’aurai de bonheur à revoir ton incomparable balle, ô pauvre vieux ! Comme nous reprendrons nos bons dimanches ! Mais que vais-je faire, une fois rentré ? Je n’en sais rien ; je ne m’en doute pas. J’ai tant pensé à l’avenir que je ne m’en occupe plus. C’est trop fatigant et trop creux. Vois-tu la façon formidable dont je gueulerai Melaenis d’un bout à l’autre ! Serai-je rouge à la fin ! Je crois n’avoir rien perdu de cette belle voix qui me caractérise. En revanche, j’ai bougrement perdu de cheveux. Le voyage m’a culotté la figure. Je n’embellis pas, tant s’en faut ; le jeune homme s’en va. Je ne voudrais pas vieillir davantage.

Je deviens maintenant comme le père Chateaubriand, qui pleurait à tous les enterrements. Le moindre fait me plonge dans des rêveries sans fin. Je m’en vais de pensées en pensées, comme une herbe desséchée sur un fleuve, et qui descend le courant flot à flot.

Non, ne te moque pas de moi de vouloir voir l’Italie. Que les épiciers s’amusent aussi, tant mieux pour eux. Il y a là-bas de vieux pans de murs, le long desquels je veux aller. J’ai besoin de voir Capri et de regarder couler l’eau du Tibre.

Parle-moi de la Chine longuement et beaucoup. Je suis bien curieux de voir l’enfant. Nous fermerons les rideaux, nous ferons un grand feu, et seuls, les lumières flambant et les vers ronflant, nous fumerons des narguilés, tandis que l’hippogriffe intérieur nous fera voyager sur ses ailes.