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DE GUSTAVE FLAUBERT.

Fourier : qu’elle serait plus tard la capitale de la terre. C’est réellement énorme comme humanité. Ce sentiment d’écrasement que tu as éprouvé à ton entrée à Paris, c’est ici qu’il vous pénètre, en coudoyant tant d’hommes inconnus, depuis le Persan et l’Indien jusqu’à l’Américain et l’Anglais, tant d’individualités séparées dont l’addition formidable aplatit la vôtre. Et puis, c’est immense. On est perdu dans les rues, on ne voit ni le commencement ni la fin. Les cimetières sont des forêts au milieu de la ville. Du haut de la tour de Galata, on voit toutes les maisons et toutes les mosquées (à côté et parmi le Bosphore et la Corne-d’Or pleins de vaisseaux). Les maisons peuvent être comparées aussi à des navires, ce qui fait une flotte immobile dont les minarets seraient les mâts des vaisseaux de haut bord (phrase un peu entortillée, passons).

J’aurai demain ton nom, Loue Bouilhette (prononciation turque), écrit sur papier bleu en lettres d’or. C’est un cadeau que je destine à orner ta chambre. Cela te rappellera, quand tu le regarderas tout seul, que je t’ai beaucoup mêlé à mon voyage. En sortant de chez les « malins » (écrivains) où nous avions discuté le papier, l’ornementation et le prix de ladite pancarte, nous avons été donner à manger aux pigeons de la mosquée de Bajazet. Ils vivent dans la cour de la mosquée, par centaines. C’est une œuvre pie que de leur jeter du grain. Quand on arrive, ils s’abattent sur les dalles de tous les côtés de la mosquée, des corniches, des toits, des chapiteaux des colonnes. Le port a aussi ses oiseaux familiers. Au milieu des navires et des caïques, on voit les cormorans voler ou qui