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CORRESPONDANCE

étaient à part, couverts de leurs pelisses en peau de mouton et faisant beaucoup de politesses à Son Excellence Hartim-Bey qui causait avec nous journaux et opéra. Nous avons couché sur le pont, regardant les étoiles qui filaient sur notre tête, à travers les déchirures du rouleau de gaze noire qui s’échappait de la cheminée.

Le second jour nous nous sommes arrêtés à Chypre cinq ou six heures. Nous n’y sommes pas descendus, grâce aux quarantaines. Voilà une des inventions les plus ineptes que l’homme ait jamais vues. Larnaka était devant nous. Nous avons vu de loin le mont Olympe. En sera-t-il toujours ainsi ? Ne le verrai-je jamais que de loin ? Stéphany pourtant nous mènera au Parnasse. Sais-tu sur quoi on y monte ? Sur des mulets, pas même sur des chevaux. Ce qui porte oreilles longues est seul capable de le gravir. Quelles bonnes plaisanteries on aurait faites là-dessus il y a deux cents ans, à l’époque des épigrammes !

Malheureusement nous n’irons pas en Candie ; le temps nous presse, nous nous hâtons pour gagner Constantinople, où la mauvaise saison ne va pas tarder à se faire sentir. Depuis que nous sommes à Rhodes, nous avons des nuages, chose presque nouvelle pour nous. Peu à peu nous nous rapprochons de l’Europe. Le lazaret où nous sommes maintenant est sur la pointe d’une petite presqu’île en rochers. Nous habitons une cahute au rez-de-chaussée, entourée de la mer de tous côtés. En face de nous, et presque à la toucher, nous avons la côte d’Asie Mineure et, derrière nous, la ville de Rhodes.

À Baalbeck nous sommes restés trois jours.