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DE GUSTAVE FLAUBERT.

seux comme un curé. Je ne suis bon qu’à cheval ou en bateau. Tout travail maintenant m’assomme. Je deviens là-dessus très oriental ; il faut espérer que je changerai au retour. À propos de curé, puisque ce mot m’est venu au bec (de ma plume), j’en ai diablement vu en Syrie et en Palestine. Nous avons vu des capucins, des carmélites, etc. Nous avons étudié de près cette fameuse question des Druses et des Maronites dont on a fait tant de bruit en France, et qui est bien une des plus belles blagues du monde. Si on en excepte les Lazaristes, tous ces braves gens d’Église sont… Ce n’est pas en Terre Sainte qu’il faut aller pour devenir dévot. Il y a un proverbe arabe qui dit : « Méfie-toi du pèlerin. » Il est fort sage, je vous en réponds. Dans le jardin des Oliviers, j’ai vu trois capucins qui faisaient une petite collation en compagnie de deux demoiselles dont les tetons blancs brillaient au soleil. Les bons pères les caressaient avec une satisfaction visible. Au moment où nous sommes partis, on apportait une bouteille d’eau-de-vie, et les petits verres étaient déjà atteints. Voilà ! Je n’en rapporte pas moins une collection formidable de chapelets pour les bonnes âmes. Tout cela n’empêche pas, mon pauvre vieux, que la Syrie ne soit un crâne pays, et nous avions le cœur gros quand nous sommes partis de Beyrouth. Nous avons vécu là d’une belle vie de vagabond, pendant deux mois.

Il faut vous dire que nous ne portons plus de chaussettes dans nos bottes. Nous avons reconnu que c’était une économie de blanchissage et que ça nous faisait plus frais aux pieds. La saison pourtant se refroidit. Nous couchons encore à la belle