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CORRESPONDANCE

vous ? Tous les imbéciles sont plus ou moins des Thompson de Sunderland. Combien, dans la vie, n’en rencontre-t-on pas à ses plus belles places et sur ses angles les plus purs ? Et puis, c’est qu’ils nous enfoncent toujours ; ils sont si nombreux, ils reviennent si souvent, ils ont si bonne santé ! En voyage on en rencontre beaucoup, et déjà nous en avons dans notre souvenir une jolie collection ; mais, comme ils passent vite, ils amusent. Ce n’est pas comme dans la vie ordinaire où ils finissent par vous rendre féroce.

Nous sommes venus ici de Beyrouth sur le bateau à vapeur autrichien, avec Hartim-Bey, ex-premier ministre d’Abbas-Pacha. C’est une de nos anciennes connaissances d’Égypte que nous avons renouée dimanche dernier, au dîner du Consul général. Il a fui à temps d’Alexandrie ; on venait pour l’empoigner de force de la part du pacha, qui probablement allait lui faire prendre quelque funeste tasse de café. Il s’est réfugié à bord du paquebot français pour Beyrouth, et de Beyrouth il gagne Constantinople, où il va aller dénoncer son maître et tâcher de le faire sauter, ce qui est possible. Pendant trois jours passés ensemble à bord, nous avons beaucoup causé, ou plutôt il nous a beaucoup parlé, nous flairant gens de plume et que, par la suite, nous pourrions lui être utiles, et puis peut-être aussi parce que nous sommes des particuliers très aimables. Rien n’est plus respecté en Orient que l’homme maniant la plume. Effendi (homme qui sait lire) est un titre d’honneur. Maxime, en ce moment, rédige sur cette affaire un bout de note pour Paris ; c’est une nouvelle politique assez grave. Quant à moi, je deviens pares-