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CORRESPONDANCE

générale, et arrangée de telle manière que le lecteur ne sache pas si on se fout de lui, oui ou non, ce serait peut-être une œuvre étrange et capable de réussir, car elle serait toute d’actualité.

Si, en 1852, il n’y a pas une débâcle immense à l’occasion de l’élection du président, si les bourgeois triomphent enfin, il est possible que nous soyons encore bâtis pour un siècle. Alors, lassé de politique, l’esprit public voudra peut-être des distractions littéraires. Il y aurait réaction de l’action au rêve ; ce serait notre jour ! Si au contraire nous sommes précipités dans l’avenir, qui sait la poésie qui doit en surgir ? Il y en aura une, va, ne pleurons rien, ne maudissons rien, acceptons tout, soyons larges. On vient de me dire un fait qui m’épouvante : les Anglais sont en train de faire le plan d’un chemin de fer qui doit aller de Calais à Calcutta. Il traversera les Balkans, le Taurus, la Perse, l’Himalaya. Hélas, serions-nous trop vieux pour ne pas éternellement regretter le bruit des roues du char d’Hector ?

J’ai lu à Jérusalem un livre socialiste (Essai de philosophie positive, par Auguste Comte). Il m’a été prêté par un catholique enragé, qui a voulu à toute force me le faire lire afin que je visse combien, etc. J’en ai feuilleté quelques pages : c’est assommant de bêtise. Je ne m’étais du reste pas trompé. Il y a là dedans des mines de comique immenses, des Californies de grotesque. Il y a peut-être autre chose aussi. Ça se peut. Une des premières études auxquelles je me livrerai à mon retour sera certainement celle de toutes ces déplorables utopies qui agitent notre société et menacent de la couvrir de ruines. Pourquoi ne pas s’arran-