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CORRESPONDANCE

Massacre des Innocents où le centurion romain est habillé comme Poniatowski, avec des bottes à la russe, une culotte collante et un béret à plume blanche. Les représentations des martyrs sont à faire prendre en amour les bourreaux, s’ils ne valaient les victimes. Et puis on est assailli de saintetés. J’en suis repu. Les chapelets, particulièrement, me sortent par les yeux. Nous en avons bien acheté sept ou huit douzaines. Et puis, et surtout, c’est que tout cela n’est pas vrai. Tout cela ment. Après ma première visite au Saint-Sépulcre, je suis revenu à hôtel lassé, ennuyé jusque dans la moelle des os. J’ai pris un saint Mathieu et j’ai lu avec un épanouissement de cœur virginal le Discours sur la montagne. Ça a calmé toutes les froides aigreurs qui m’étaient survenues là-bas. On a fait tout ce qu’on a pu pour rendre les saints lieux ridicules. C’est putain en diable : l’hypocrisie, la cupidité, la falsification et l’impudence, oui ; mais de sainteté, aucune trace. J’en veux à ces drôles de n’avoir pas été ému ; et je ne demandais pas mieux que de l’être, tu me connais. J’ai pourtant une relique à moi, et que je garderai. Voici l’histoire : la seconde fois que j’ai été au Saint-Sépulcre, j’étais dans le Sépulcre même, petite chapelle toute éclairée de lampes et pleine de fleurs fichées dans des pots de porcelaine, tels que ceux qui décorent les cheminées des couturières. Il y a tant de lampes tassées les unes près des autres que c’est comme le plafond de la boutique d’un lampiste. Les murs sont de marbre. En face de vous grimace un Christ taillé en bas-relief, grandeur naturelle et épouvantable, avec ses côtes peintes en rouge. Je regardais la pierre sainte ; le prêtre a ouvert une armoire, a