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CORRESPONDANCE

renseignements et existence, un tas de choses que nous n’aurions pas rencontrées ailleurs. Nous étions vraiment dans une bonne et charmante société. Nous faisions des pique-niques sur l’herbe, servis par des grooms autrement costumés qu’avec des culottes de peau. Pour partir de Beyrouth, il a fallu presque nous en arracher ; du reste, l’explication de toutes ces amabilités se trouve dans un mot de Rogier qui nous disait : « Si vous croyez que c’est pour vous que nous vous engageons à rester, vous êtes bon enfant. » En effet, ces exilés sont tous heureux de trouver des gens à qui parler de leur monde, de leurs études. Nous leur apportions Paris et quelque chose de tout ce qu’ils y ont laissé. Beyrouth est du reste un lieu charmant ; on y voit de la neige et on y vit dans des maisons de campagne à vue magnifique, en face de la mer et des montagnes. La verdure qui pousse contre les murs entre jusque dans les appartements.

Notre voyage de Beyrouth à Jérusalem a duré neuf jours. Nous partions à quatre heures du matin. Nous faisions une sieste au milieu de la journée et nous nous arrêtions au coucher du soleil. Telle va être notre vie pendant toute la Syrie. Nous couchons dans des caravansérails ou à la belle étoile, sous des arbres. Alors notre lanterne suspendue dans les branches éclaire le feuillage, nos bagages rassemblés en cercle et la croupe de nos chevaux rangés autour de nous, attachés à leurs piquets. Nous avons quatre mulets dont, pendant tout le jour, dans la marche, nous entendons sonner les grelots, din, din, tout le temps. Il y a aussi un âne pour le chef des muletiers, grand bonhomme maigre qui porte un parapluie pour se