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DE GUSTAVE FLAUBERT.

que du roi de Prusse. Pour « remplir mon mandat » exactement, il eût fallu renoncer à mon voyage. C’eût été trop sot. Je fais parfois des bêtises, mais pas de si pommées. Me vois-tu dans chaque pays m’informant des récoltes, du produit, de la consommation ? Combien fait-on d’huile, combien goinfre-t-on de pommes de terre ? Et dans chaque port : combien de navires ? quel tonnage ? combien en partance ? combien en arrivée ? dito, report d’autre part, etc. merde ! Ah non, franchement je te le demande, était-ce possible ? Et après tant de turpitudes (mon titre en est déjà une suffisante), si on avait fait quelques démarches, que les amis se fussent remués et que le ministre eût été bon enfant, j’aurais eu la croix ! Tableau ! Satisfaction pour le père Parain ! Eh bien non, mille fois, je n’en veux pas, m’honorant tellement moi-même que rien ne peut m’honorer.

Je pense bougrement à toi, va, grande canaille, je te vois circulant dans les rues de Rouen, les coudes serrés, le nez au vent, avec ta canne et le chapeau gris, maintenant que nous sommes en été. À ce moment, mardi 4 juin, 2 h. ½ de l’après-midi, je te vois tournant le coin de la rue Ganterie à côté de la crosse. À propos, voilà le grand moment qui approche. Ce sera décisif et pour n’y plus revenir ; on va savoir enfin à quoi s’en tenir, le prix de discours français décidera tout. Je ne serai plus dans cette perplexité atroce qui me poursuit jusqu’au milieu du désert, comme des djins. Sera-ce Pigny ? Sera-ce Defodon ? Lequel ? c’est comme la bataille d’Actium. Le sort de l’humanité en dépend, peut-être. Je comparerais volontiers l’un à Catilina et l’autre à César. À moins