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CORRESPONDANCE

d’autant plus que le vent qu’il faisait secouait la tente avec furie. Le jour suivant, nous avons couché au Rhamesséion (tombeau d’Osymandias), et celui d’après à Biban-el-Moulouk, ou autrement Vallée des Rois. C’est une merveille. Figure-toi une vallée entière, coupée dans une montagne où il n’y a pas plus de végétation que sur une table de marbre et, des deux côtés, des carrières ; ce sont autant de tombeaux. On descend dans chacun par une série d’escaliers, les uns au bout des autres, et qui n’en finissent plus. Puis on entre dans deux grandes salles, peintes de haut en bas et au plafond. On y voyage, le mot est littéral. Figure-toi les grottes de Caumont, dont les murs seraient poncés et couverts de peintures d’or, d’azur, etc. Ce sont des représentations fantastiques ou symboliques, des serpents à plusieurs têtes qui marchent sur des pieds humains, des têtes décapitées qui naviguent, des singes qui traînent des navires, des rois sur leurs trônes avec des visages verts et des attributs étranges. Les peintures sont fraîches comme si elles venaient d’être faites et s’enlèvent sous le pouce. Ailleurs ce sont des joueurs de harpe, des danseuses, des gens qui mangent […] ; on en cassepète. Tu n’en es pas quitte, va ! je t’en reparlerai plus d’une fois.

Il y a, à l’entrée [de] la vallée des Rois, au-dessus du Rhamesséion, un vieux Grec qui fait le commerce d’antiquités. Il vit là comme dans une tour, au milieu de la montagne, dans une maison pleine de momies, tout seul, et loin des humains. De vieilles carcasses racornies, plantées debout contre le mur, grimacent dans un coin de sa tour ; son rez-de-chaussée est bourré de cercueils, et la