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DE GUSTAVE FLAUBERT.

Karnac. Ça m’a semblé une demeure de géants, où l’on devait servir dans des plats d’or des hommes entiers à la brochette, comme des alouettes. Nous avons passé là trois jours, Maxime photographiant et moi estampant, ou pour mieux dire faisant estamper. J’avais parmi mes ouvriers un guide qui parlait un peu anglais ; nous nous entendions à moitié dans un charabia composé d’anglais, d’italien et d’arabe :

— Allah ! allah ! allons ! go on ! go on ! S. n. de D.

Si, signor, si, signor, è questo bene ?

T’is not very bad, but your paper is not clean.

— Taïeb, taïeb.

Et ainsi de suite. Nous vivions, c’est-à-dire nos affaires étaient dans une petite chambre qui avait pour plafond de grandes dalles peintes en bleu de ciel, et vous voyions devant nous, sur la muraille, des reines avec de grandes coiffures, qui tenaient des rois par la taille. La nuit, je dormais dehors sur une grande pierre (recouverte de mon matelas), couché sur le dos, le nez tourné aux étoiles, au bruit des tarentules et à l’aboiement des chacals, qui alternait avec celui des chiens des villages voisins. Puis nous avons passé sur la rive gauche du Nil. Après avoir, pendant deux jours, logé à Louqsor même, dans le palais de France (maison donnée par Méhémet-Ali, lors de l’expédition de Louqsor pour l’obélisque), nous avons été camper au pied du fameux colosse. Il n’a pas chanté au lever du soleil, mais le gredin m’a envoyé la nuit une grêle de moustiques qui m’ont dévoré les jambes, et m’ont empêché de dormir ;