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CORRESPONDANCE

cigognes, et de grandes grues qui se tiennent au bord du fleuve par longues files alignées comme des régiments. Elles s’envolent en battant des ailes quand elles aperçoivent la cange.

Ici, du reste, en Nubie, cela change ; il y a peu d’animaux. Cela devient plus vide. Le Nil se resserre entre des rochers ; lui qui était si large est maintenant resserré, par places, entre des montagnes de pierre ; il a l’air de ne pas remuer et se tient plat, scintillant au soleil.

Avant-hier nous avons passé les cataractes ou, pour mieux dire, les cataractes de la première cataracte, car c’est tout un pays. Des nègres nus traversent le fleuve sur des troncs de palmier, en ramant avec les deux mains. Ils disparaissent dans les tourbillons d’écume plus rapidement qu’un flocon de laine noire jeté dans un courant de moulin. Puis le bout de leur tronc d’arbre (sur lequel ils sont couchés) se cabre comme un cheval. On les revoit, ils arrivent à nous et montent à bord ; l’eau ruisselle sur leurs corps lisses comme sur les statues de bronze des fontaines.

La description de la manière dont on passe les cataractes est trop longue. Sache qu’un coup de gouvernail à faux casserait le bateau net sur les rochers. Nous avions environ cent cinquante hommes pour haler notre bateau. Tout cela tire ensemble sur un long câble et gueule d’accord, en poussant de grands cris.

Nous sommes arrêtés dans ce moment faute de vent. Les mouches me piquent la figure ; le jeune Du Camp est parti faire une épreuve. Il réussit assez bien ; nous aurons, je crois, un album assez gentil.