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DE GUSTAVE FLAUBERT.

branches minces des gazis. Cela sifflait comme dans des joncs ; les montagnes étaient roses ; le soleil montait, mon matelot allait devant moi, se courbant pour passer sous les buissons et me désignant d’un geste muet les tourterelles qu’il voyait sur les branches. Je n’en ai tué qu’une : je ne les voyais pas. Je marchais, poussant mes pieds devant moi et songeant à des matinées analogues… à une entre autres, chez le marquis de Pomereu, au Héron, après un bal. Je ne m’étais pas couché et le matin j’avais été me promener en barque sur l’étang, tout seul, dans mon habit de collège. Les cygnes me regardaient passer et les feuilles des arbustes retombaient dans l’eau. C’était peu de jours avant la rentrée ; j’avais quinze ans.

Comme nature, ce que j’ai encore vu de mieux, ce sont les environs de Thèbes. À partir de Keneh l’Égypte perd son allure agricole et pacifique, les montagnes deviennent plus hautes et les arbres plus grands. Un soir, dans les environs de Dendérah, nous avons fait une promenade sous les doums (palmiers de Thèbes) ; les montagnes étaient lie de vin, le Nil bleu, le ciel outremer et les verdures d’un vert livide ; tout était immobile. Ça avait l’air d’un paysage peint, d’un immense décor de théâtre fait exprès pour nous. Quelques bons Turcs fumaient au pied des arbres avec leurs turbans et leurs longues pipes. Nous marchions entre les arbres.

À propos, nous avons vu déjà beaucoup de crocodiles. Ils se tiennent à l’angle des flots, comme des troncs d’arbres échoués. Quand on en approche, ils se laissent couler dans l’eau comme de grosses limaces grises. Il y a aussi beaucoup de