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CORRESPONDANCE

vons, comme tu le vois, dans une paresse crasse, passant toutes nos journées couchés sur nos divans, à regarder ce qui se passe, depuis les chameaux et les troupeaux de bœufs du Sennahar jusqu’aux barques qui descendent vers le Caire, chargées de négresses et de dents d’éléphant. Nous sommes maintenant, mon cher Monsieur, dans un pays où les femmes sont nues, et l’on peut dire avec le poète « comme la main », car, pour tout costume, elles n’ont que des bagues. J’ai vu des filles de Nubie qui avaient des colliers de piastres d’or leur descendant jusque sur les cuisses, et qui portaient sur leur ventre noir des ceintures de perles de couleur. Et leur danse ! Procédons par ordre, cependant.

Du Caire à Beni-Souëf, rien de bien curieux. Nous avons mis dix jours à faire ces 25 lieues, à cause du Khamsin ou Simoûn (meurtrier) qui nous a retardés. Rien de ce que l’on dit sur lui n’est exagéré. C’est une tempête de sable qui vous arrive. Il faut s’enfermer et se tenir tranquille ; nos provisions en ont seules beaucoup souffert, la poussière pénétrant partout, jusque dans les boîtes de fer-blanc fermées à force. Le soleil, ces jours-là, a l’air d’un disque de plomb ; le ciel est pâle ; les barques tournoient sur le Nil comme des toupies. On ne voit pas un oiseau, pas une mouche. Arrivés à Beni-Souëf, nous avons fait une course de cinq jours au lac Meris. Mais comme nous n’avons pu aller jusqu’au bout, nous y retournerons une fois revenus au Caire. Jusqu’à présent, du reste, nous avons vu peu de choses ; car nous profitons du vent pour aller au plus loin de notre voyage ; c’est en revenant que nous nous arrêterons par-