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DE GUSTAVE FLAUBERT.

coupure inégale des rochers de granit qu’il traverse. Pour passer le fleuve, les gens du pays s’y prennent de la façon suivante : on commence par ôter sa chemise que l’on roule en turban sur sa tête, on monte à califourchon sur deux bottes de roseaux liées ensemble et terminées en pointe à chaque bout ; puis, avec une rame, on pousse l’eau alternativement à droite et à gauche. Au milieu de l’eau on voit ainsi ces tritons noirs qui s’en vont tranquillement, les jambes accroupies devant eux sur leur singulière nacelle.

Ce matin on nous a apporté une grande cigogne en vie ; après l’avoir gardée une heure, nous l’avons relâchée. Elle avait les pattes roses et le corps tout blanc.

L’autre jour, au moment de partir d’Esneh, des Bédouins nous ont vendu pour quatre piastres (20 sous) une gazelle qu’ils avaient tuée le matin. Pendant deux jours nous avons vécu dessus ; c’est excellent. Nous avons gardé sa tête et Joseph a découpé sa peau pour m’en faire un tapis. Il ne serait pas difficile d’en avoir une en vie. Je voudrais bien en rapporter une à Croisset pour la petite, mais l’embarras que cela nous causerait m’empêchera de réaliser cette envie que j’ai depuis longtemps. En fait de crocodiles, nous en voyons toujours ; les gredins ont la vie dure. Il faudrait les surprendre pendant leur sommeil, mais je crois qu’ils sont toujours éveillés. Pour des momies, nous n’avons pas encore commencé nos recherches. Du reste c’est bientôt, en redescendant, que nous allons nous mettre à travailler. Maxime va recommencer ses rages photographiques ; il faut espérer que, pendant ce temps-là, j’écrirai à