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DE GUSTAVE FLAUBERT.

dîner, s’il y a du vent nous partirons. Nous allons remonter le plus vite possible, ne nous arrêtant que lorsque le vent défaillera, ce qui ne paraît pas devoir se présenter souvent, et c’est en revenant que nous nous arrêterons à loisir. Notre cange est peinte en bleu, son raïs (capitaine) s’appelle Ibrahim. Il y a neuf hommes d’équipage. Pour logement, nous avons une première pièce où se trouvent deux petits divans en face l’un de l’autre. Ensuite une grande chambre à deux lits, puis une espèce de recoin pour mettre nos effets, enfin une troisième pièce où couchera Sassetti et qui est notre magasin. Quant au drogman, il couchera sur le pont. C’est un monsieur qui ne s’est pas encore déshabillé depuis que nous l’avons ; constamment vêtu de toile, il trouve toujours qu’il a trop chaud. Son langage est incroyable et sa personne plus curieuse encore. C’est du reste un rude et brave homme. On irait avec lui jusqu’aux antipodes sans qu’il vous arrive une éclaboussure.

Je me suis très enrhumé en restant pendant cinq heures debout sur un mur, à voir la cérémonie du Dauseb. Voici ce que c’est : le mot dauseb veut dire piétinement, et jamais nom ne fut mieux donné. Il s’agit d’un homme qui passe à cheval sur plusieurs autres couchés par terre comme des chiens. À certaines époques de l’année cette fête se renouvelle, au Caire seulement, en mémoire et pour répéter le miracle d’un certain saint musulman qui est entré ainsi jadis dans le Caire, en marchant avec un cheval sur des vases de verre, sans les briser. Le scheik qui renouvelle cette cérémonie ne doit pas plus blesser les hom-