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CORRESPONDANCE

déchiquète tout avec ses mains et l’on rote à outrance. La salle à manger et la cuisine ne font qu’un et la grande cheminée, garnie de petites potiches, gargouille et fume derrière vous avec le marmiton en turban blanc et bras retroussés. Je prends soin d’écrire les noms de tous les mets et leur composition. J’ai également relevé tous les parfums qui se font au Caire. Cela peut m’être fort utile quelque part. Nous avons pris deux drogmans ; le soir un conteur arabe vient nous lire des contes, et il y a un effendi que nous payons pour nous faire des traductions. Mais si nous ne perdons pas de temps, en revanche l’argent file vite, et plus vite que les dromadaires, celui-là ! Car à propos de ces petites bêtes, nous avons mis 4 heures à faire 6 lieues. Tu vois le train que cela va.

Pour en revenir à la vie que nous menons ici, j’ai eu il y a quelques jours un bel après-midi. Maxime était resté faire je ne sais quoi. J’ai pris Hassan (le second drogman que nous avons loué momentanément) et me suis dirigé chez l’évêque des Cophtes pour causer avec lui. Je suis entré dans une cour carrée entourée de colonnes et au milieu de laquelle il y avait un petit jardin, c’est-à-dire quelques grands arbres, plates-bandes de verdure sombre dont un divan en bois treillagé faisait la bordure. Mon drogman, avec ses larges culottes et sa veste à grandes manches, marchait devant, moi derrière. Sur un des coins du divan était assis un vieux roquentin à mine renfrognée, à barbe blanche, dans une grande pelisse et flanqué de livres en écriture baroque épars de tous côtés. À une certaine distance se tenaient trois docteurs en robe noire, plus jeunes et avec de lon-