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parler ; la vacance serait du double meilleure. Et ne crois pas que j’exagère, non du tout je ne dis que la stricte vérité. Et je suis dégoûté de la vie si tu ne viens pas.

Maintenant te faut-il parler de mon voyage ? Eh bien j’ai vu en passant le célèbre château de Robert le Diable restant là sur le haut de la montagne, immobile, muet et détruit, semblant par lui-même présenter une énigme à tous ceux qui regardent son front ridé par les siècles (c’est vraiment bien digne d’être le sujet des méditations de Dubreuil)[1].

Nous avons été à Trouville, j’y ai ramassé beaucoup de coquillages, j’en garde un bon nombre pour l’ami des amis. En les prenant sur la plage que venait à chaque instant mouiller chaque vague, je pensais à toi et me disais : si Ernest était là comme il s’amuserait.

Comme c’est beau, la mer, quand une belle tempête la fait mugir à mes oreilles ou bien quand des nuages brumeux englobent son horizon, quand elle vient se briser sur les rochers, oh ami, c’est un bien beau spectacle.

Nous avons pris quelques bains de mer pendant trois jours. Se baignait alors une dame, oh, une jolie dame, candide quoique mariée, pure quoiqu’à vingt-deux ans. Oh, qu’elle était belle avec ses jolis yeux bleus ! La veille nous la voyons rire sur le rivage à la lecture que lui faisait son mari, et le lendemain comme nous étions tous revenus à Pont-l’Évêque, nous avons appris… Ô douleur ! Ô malédiction…! qu’elle était noyée,

  1. Conservateur du Musée zoologique de Rouen.