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CORRESPONDANCE

qu’elle n’est pas d’argent, mais de plomb ? Travestissant un vers de Musset je peux dire :

Tu es venue trop tard dans un homme trop vieux.

Si je avais jugée de nature plus médiocre, j’aurais menti. Je n’en ai pas eu le cœur ; ç’eût été te ravaler à mes yeux. Je ne suis fait ni pour le bonheur, ni pour l’amour, et je n’ai jamais goûté de l’un et de l’autre que l’odeur, comme les goujats qui flairent le soupirail de Chevet. Ils convoitent tout ce qu’on fricasse ; ils se disent : « Ah ! si j’étais là dedans, comme je m’en donnerais ! comme je mangerais ! » Faites-les descendre à la cuisine, ils n’ont plus faim, parce que le charbon leur fait mal à la tête.

Si tu avais su t’en tenir au ton d’une galanterie épicée, d’un peu de sentiment et de poésie, peut-être que tu n’aurais [pas] éprouvé cette chute qui t’a tant fait souffrir. Mais le cœur est comme la voix ; quand il a crié, il s’enroue.

Pourquoi, pauvre amie, t’obstines-tu à te comparer, quant à l’effet que tu me produis, à une fille ? Tu tiens beaucoup au parallèle ? Quelle sottise ! Pourquoi me reproches-tu d’avoir voulu te donner un bracelet après la première nuit et de ne te l’avoir pas plutôt envoyé au jour de l’an ? Tu crois donc que je suis bien rustre ? À défaut de cœur, me nies-tu aussi les plus simples notions de savoir-vivre ? Quelle funeste manie tu as, chère enfant, de toujours te creuser l’âme pour en faire le trou plus grand !

La raison de cela, par exemple, est fort simple : j’avais de l’argent à cette époque ; je n’en ai plus maintenant, voilà tout.