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DE GUSTAVE FLAUBERT.

tirer. Eh bien, si c’est là ton envie, je ne la satisfais pas pour deux raisons. La première, c’est que je n’en trouve pas à te dire ; la seconde, quand même j’en penserais, je les tairais. Je ne sais pas jusqu’à quel point tu as raison en m’accusant de manquer d’amour. Celui qui lit dans les cœurs en est seul juge et peut-être n’est-ce pas à moi qu’il donne tort. Mais pour manquer de délicatesse envers toi, envers toi, chère âme, jamais ! jamais ! lors même que je ne t’aimerais plus, lors même que je te haïrais. Et je resterai franc pourtant, comme je l’ai toujours été. Je m’aperçois que c’est un tort. J’aurais dû un peu m’exciter, un peu me monter, un peu me farder. Tu m’aurais peut-être trouvé plus aimable, si je n’avais pas été si digne d’être aimé.

Louise, je t’en prie, je t’en conjure, je lève vers toi ces yeux qui te plaisent et qui attirent ton sourire quand je suis là près de toi, et que je te regarde de bas en haut, la tête sur tes genoux : ne sois plus aussi dure, aussi âcre, ne me donne plus à travers le cœur des coups de cravache pareils. Qu’est-ce qu’il t’a fait, ce pauvre cœur ? Si tu ne le trouves pas à la taille du tien, laisse-le, jette-le, mais ne crache pas dessus la désillusion qu’il t’a donnée ! Est-ce sûr ? Est-ce qu’il y a désillusion ? Est-ce que je ne suis pas le même ? N’est-ce plus moi ? N’est-ce pas toujours toi ? Est-ce que maintenant nos deux âmes ne sont pas ensemble ? À quelle autre qu’à toi vais-je faire avant de m’endormir la dédicace de ma nuit ? Quelque chose de mystérieux et de doux nous unit toujours. À travers l’espace nos désirs se rencontrent comme les nuées et se mêlent l’un à autre dans une aspiration