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DE GUSTAVE FLAUBERT.

proches, je m’occupe de toi, de nous. J’ai fait cette semaine quelques démarches pour hâter la commission et pouvoir aller te rejoindre le plus tôt possible. Ce n’était peut-être pas très convenable de ma part ; mais n’importe. Il me semblait entendre ta voix derrière moi me crier dans l’oreille avec ta pétulance enfantine : « Mais va donc ! va donc ! dépêche-toi ! »

Tu veux que je te donne quelque chose qui m’appartienne depuis longtemps et dont je me sers habituellement. J’ai réfléchi. Je t’apporterai mon presse-papier et deux petites salières en émail dans lesquelles je mets de la poudre et des pains à cacheter. Ça a le mérite d’avoir passé de longs jours sur ma table. Ces objets ont été les témoins muets de bien des heures solitaires de ma vie ; qu’ils [le] soient pour toi maintenant, quand tu écriras ! qu’ils te rappellent ton ami !

Sais-tu que, si je voulais faire l’homme incompris, j’aurais beau jeu ? Dans ton petit mot d’avant-hier, tu me dis que tu es sûre que je ne t’ai jamais aimée, tandis que ton cœur t’affirme le contraire. À quoi bon ce mensonge que tu te fais à toi-même ? Est-ce que quand tu me regardes tu ne vois pas que je t’aime, dis ? Ose nier Le contraire ! Voyons, souris, embrasse-moi ; ne m’en veux plus de te parler de Shakespeare au lieu de moi. Il me semble que c’est plus intéressant, voilà tout. Et de quoi parlerait-on, encore une fois, si ce n’est de ce qui est la préoccupation exclusive de votre esprit ? Pour moi, je ne sais pas comment font pour vivre les gens qui ne sont pas du matin au soir dans un état esthétique. J’ai goûté plus qu’un autre les plaisirs de la famille, autant qu’un