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CORRESPONDANCE

non pas quand ils étaient jeunes, mais jusqu’au dernier jour, après trente-cinq ans d’union. Pourquoi toi te blesses-tu par avance d’un mot de souvenir que j’ai l’intention d’envoyer à Mme Foucaud. Je fais plus que mon père, car je te mets en tiers dans notre conversation, qui se fait à travers l’Atlantique. Oui, je veux que tu lises ma lettre, si je lui en écris une, si tu le veux, si tu comprends d’avance le sentiment qui m’y porte. Tu trouves qu’il y a à cela de l’indélicatesse envers toi. Moi j’aurais cru le contraire : j’y aurais vu une marque de confiance peu commune. Je te livre tout mon passé ! Et cela t’irrite ! Je te dis : tiens, voilà ce que j’ai aimé, et c’est toi que j’aime. Cela te fait mal ! Ma parole d’honneur, il y a de quoi en perdre la tête.

J’ai reçu la boîte de carton, envoi de M. Du Camp. Je l’ai ouverte ; je ne sais pas pourquoi, mais un parfum de sentiment m’en est monté au cœur. Dans les plis du papier bleu qui recouvrait le dedans était resté quelque chose de tes doigts ; tout cela était bien arrangé, charmant. J’ai eu presque regret ensuite d’y avoir touché. Les fiancées, quand elles découvrent leur corbeille de noces, doivent éprouver quelque chose d’analogue, de moins fin peut-être. J’ai revu la pauvre branche de lierre avec les traces des gouttes de pluie de Mantes. Je me suis précipité sur le petit carnet et j’ai lu avidement toute la pièce, surtout le milieu, que je ne connaissais pas. Mais je me dépêchais ; j’avais peur d’être dérangé. C’était dans ma chambre de Rouen. Quand je vais avoir fini cette lettre, je vais m’y mettre et la prochaine fois je t’enverrai mes observations. Il y