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CORRESPONDANCE

croyons qu’il se dérange. Sa tête n’y tiendra pas. Tout cela finira encore assez mal.

Que me disais-tu donc dans ta lettre d’hier ? Encore des reproches ! Pourquoi ne veux-tu pas venir ? Toujours ! Je suis tiraillé par tout le monde, tout le monde pèse sur moi, moi qui ne pèse sur personne. À peine si je puis retrouver ma personnalité dans le chaos de douleurs contraires qui m’assiègent.

Je t’aurais écrit hier soir une longue lettre en réponse à la tienne (ce sera pour demain), si je n’avais été à Rouen chercher mon frère pour ma nièce. Je répondrai à toutes tes questions, mais sois satisfaite de suite sur un point, c’est que « je ne presse aucune autre femme dans mes bras », suivant ton expression, — aucune. Je peux vivre comme cela pendant des années. Le temps est loin où je me faisais un devoir d’aller régulièrement passer la nuit de la Saint-Sylvestre chez les filles pour inaugurer l’année. Encore dans ce temps-là c’était plutôt une manie que l’attrait du plaisir […]. J’ai trouvé la fameuse comparaison du bibliophile d’assez mauvais goût. Il posait, en disant cela, et parlait pour lui. On fait toujours de belles phrases quand on donne le bras à une jolie femme. Il n’est pas difficile de se faire passer pour un homme à grands sentiments quand on sait très bien qu’on ne vous en demandera pas la preuve.

Adieu, ma toute chérie ; à demain une plus longue épître.