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CORRESPONDANCE

J’aime beaucoup le perdreau succulent de Rosni et « l’écrevisse au goût fin que dans la Seine on pêche ! » ; ceci est une faute de géographie culinaire ; je ne pense pas qu’on pêche d’écrevisses dans la Seine à Mantes ! N’importe, mais ce qu’il y a de meilleur, c’est ceci : « Nous mangeâmes tous deux, etc., » jusqu’à : « Quel repas, quel attrait ! » J’attends la lacune avec impatience. C’est là l’endroit le plus délicat. J’en suis curieux. La fin est d’une belle teinte ; mais tu devrais, au commencement, tâcher d’intercaler quelque chose pour l’intelligent préposé du chemin de fer. Il faut que le magnétisme qui attire deux êtres soit bien fort et bien vrai, et il découle d’eux sans doute d’une manière irrésistible, puisqu’il se fait comprendre même des êtres qui lui sont étrangers.

Tu me juges donc un homme très gai, que tu m’envoies toutes les facéties que tu peux recueillir ? C’est une attention qui me touche, car il est vrai que je les aime, surtout quand elles sont aussi bonnes que celles de Mme Gay et de son vaillant époux. Mais il me semble que tu me prends tour à tour pour ce que je ne suis pas. Tantôt tu fais de moi une espèce de maudit de mélodrame, et la fois suivante tu m’assimiles au commis voyageur. Entre nous, je ne suis ni si haut ni si bas ; tu me vulgarises ou me poétises trop. C’est toujours la rage féminine de nier les demi-teintes et de ne pas vouloir, ou pouvoir, rien entendre aux natures complexes. Et il y a si peu de natures simples ! Tu as dit, sans le sentir, un mot d’une portée sublime : « Je crois que tu n’aimes sérieusement que les charges. » Si on le prend à la lettre, il est horriblement faux, car, aimant beaucoup le gro-